"Chasseurs de l'invisible", ceux qui détiennent la magie, ceux qui touchent le passé, ceux qui savent, ceux qui voient... D’incroyables personnages qui marchent sur le temps …
Nous avons réalisé (en duo Jean Michel Fickinger & Dany Leriche) une importante série de Portraits d'initiés les "Chasseurs de l'invisible" au Mali en 2009/2010 : "L’Afrique vit en étroite communion avec le monde visible de la terre et les forces invisibles. Cette interaction entre hommes et dieux détermine, y compris aujourd’hui, les sociétés africaines, en équilibre entre le réel et le surnaturel, le visible et l’invisible, le monde des esprits et des dieux. Sur terre, ceux qui les représentent ont un pouvoir immense. Ils sont gardiens des traditions, piliers de société." (Tobie Nathan)
Le Mali est au coeur de l'histoire africaine et les chasseurs occupent le coeur de l'histoire malienne. Gardiens des rites animistes, les chasseurs sont de loin la plus vieille organisation traditionnelle que l'usure du temps a épargné.
Initiés aux secrets des plantes et des animaux, à la puissance des incantations et des fétiches (ils sont chasseurs, mais aussi féticheurs, guérisseurs et devins), ces sages thérapeutes soignent leurs patients en considérant les trois dimensions de leur maladie - physique, psychologique et spirituelle. Bien que la chasse tienne une grande place dans leur vie, les "donso" ou chasseurs sont paysans, mécaniciens, policiers ou diplomates. Leur confrérie privilégie le principe d'antériorité, mais son esprit égalitaire contredit souvent la hiérarchie sociale : les uns les autres se reconnaissent "karamoko", qui veut dire "personne de la connaissance, savante".
La plus ancienne de ces confréries, disent-ils, remonte aux éleveurs nomades qui reliaient le Nil au Niger et au Sénégal en balisant leur itinéraire avec des pierres levées. Ils se guidaient sur l'étoile Sirius, dont le cycle de soixante ans détermine toujours la cérémonie du Sigui en pays dogon et malinké.
Les chasseurs ont toujours été inaccessibles. Tout le monde n'entre pas dans la confrérie. Ils vont nuitamment seuls en brousse, affrontent les fauves et les diables, l'invisible qui nous voit et agit. On les admire. Ils peuvent transformer une feuille en or, faire bouillir de l'eau sans feu, changer le cours des choses. On les consulte pour connaître l'avenir, se procurer des plantes médicinales. En vertu de leur code d'honneur, ils n'ont jamais failli à intervenir dans les cas de crise grave d'oppression, jusqu'à nos jours. Ils sont un refuge et une permanence.
Aujourd’hui
Une nouvelle société se dessine peu à peu sous nos yeux : l’influence du libéralisme économique, de la médiatisation, de l’urbanisation entraîne une destruction des systèmes de solidarité, une fermeture aux autres, une érosion de la langue et une perte progressive de l’importance donnée à la culture.La personnalité inoubliable de Tata de Sido sur la route de Bougouni nous ouvre une histoire particulière du Mali. C'est aussi une mémoire culturelle que l'on veut préserver. Il faut dix sept ans pour être initié. Les candidatures sont peu nombreuses aujourd’hui, c’est tout un savoir qui disparaît avec eux. Si les Maliens n’ont plus accès à leur médecine traditionnelle, ils seront obligés de se faire soigner suivant les principes de notre médecine occidentale, avec un coût beaucoup trop élevé pour leur niveau de vie, un manque sur le plan humain, spirituel et environnemental.
Tata est un personnage hors du temps, craint, qui ressemble à nos grands mystiques : Saint Antoine l’ermite ou Jean de la croix.
Jean Michel a été sollicité par Tata pour assister à l’instant où il endossait sa tenue de devin. Il a senti à ce moment là une grande force magnétique émanant de cette tenue. Rémy Dovonou, antropologue béninois nous a expliqué par la suite que Tata avait été obligé d'ouvrir un champ magnétique protecteur pour permettre la photographie, sinon l’image n'aurait rien révéler, que du blanc !
Il y a très peu d’images des confréries de chasseurs et de leurs musiciens, de féticheurs, de devins. Nous avons eu beaucoup de chance car nous avons discuté avec des photographes maliens qui n’ont pas réussi à les approcher. Maintenant, ils nous connaissent et lors de notre dernier séjour, un chef de chasseurs de Koulikoro a organisé et invité une centaine de chasseurs à une fête chez lui pour que nous puissions les photographier ! Ils sont en train de prendre conscience qu’il n’y a pas de traces visuelles de leur histoire et de leurs chasseurs émérites.
Nous avons pu photographier lors de nos voyages tous les chefs des différentes confréries de chasseurs du Mali ainsi que leurs fascinants musiciens comme Yoro Sidibé, Sibiri Samaké et le très célèbre, inaccessible Balla Guimba.