Dany Leriche
Jean Michel Fickinger

Mali, demain est encore hier


Mères et enfants au Mali (première partie réalisée dans le cadre de la Villa Médicis hors les murs 2006-2007)

"Comme il est dans l’eau, on ne voit pas que le poisson pleure." (proverbe malien anonyme)

Une série de mères maliennes (de différentes générations) sont photographiées comme des Madones et sont présentées sur le mur comme des tableaux de Madones classiques. Elles font face à une série de photographies d’enfants présentée sur des écrans plasma ou en projection vidéo. L’eau monte doucement, avec différents niveaux d’eau suivant les photographies et remplit peu à peu, puis totalement les images. Des effets d’ondulations d’eau, de miroir et de petites bulles apparaissent sur les images, et s’intègrent parfaitement avec la tôle ondulée, qui sert de fond aux enfants. Ils sont comme dans un aquarium.
Le problème de l’eau au Mali est très important, 50% d’enfants meurent encore de la diarrhée due à l’eau. Il n’y a pas encore d’eau courante, il faut aller chercher l’eau au puits, et tant de problèmes sont engendrés par cette situation. L’eau est rare, chère. Quand les jeunes fuient tant de misères dans des petits bateaux de fortune vers les îles canaries, une grosse partie se noie.
Nous sommes très touchés par la force de ces femmes maliennes qui même dans la plus grande misère, ou en dépit des liens étroits où la tradition les enferme, arrivent à se dépasser. Aussi, nos photos de mères et d’enfants maliens se veulent silencieuses et contemplatives. Pour eux la lutte continuelle pour survivre devient un effort si positif qu’il permet de transcender les pires difficultés et d’ouvrir sur la beauté. Ces visages débordent de dignité et de gravité ; les portraits que nous en faisons cherchent à montrer l’intériorité des êtres, il y a une relation de partage entre eux et nous: une promesse, un voeu, comme si nous avions décidé de chasser ensemble la misère, en l’éloignant. C’est là, où nous nous différencions des photographes qui ont systématiquement travaillé les aspects misérabilistes. Nous avons la volonté de nous débarrasser des mouches, de la saleté, de la poussière. Nous ne cherchons pas à faire du sensationnel. Le fond, derrière les enfants, est en tôle. Ce matériau sert de palissades autour des chantiers à travers tout le Mali. Il renvoie inévitablement à la construction. Utilisé comme toile de fond dans le portrait, il est là pour souligner la personnalité en devenir: "la construction de soi". Il participe également à projeter l’enfant dans un élément contemporain, face aux mères, qui sont toutes vêtues de manière traditionnelle. La tôle reflète le monde comme un miroir. Il renvoie sa lumière sur les enfants.
Au Mali, les femmes n’utilisent pas de miroir, elles sont le miroir de l’autre.